1 Que peut-on bretonniser ?

Il est recommandé de commencer par les noms de lieu en Bretagne, mais rien n’empêche de déborder, puisqu’un certain nombre ont une version bretonne ancienne utilisée dans la littérature en breton (ex. : Turgn pour Tours (Touraine), Bourdel pour Bordeaux, Chartrez evit Chartres, Evrog pour York) et qu’on peut reprendre les formes locales, adaptées à la phonétique du breton, si nécessaire.

Parfois, il est assez simple de transcrire la forme officielle (Carfantin, en Dol-de-Bretagne < Kerfeunteun), mais, il est fréquent de ne pas pouvoir deviner et la solution se trouve, peut-être, dans un livre peu accessible.

Il y a une règle générale qui prescrit de rechercher la forme locale et ce n’est pas toujours la forme officielle.

Selon la tradition littéraire du breton, il faut saisir name:br = Strasburg et non pas Strasbourg (officiel), ni Strässburg (haut-allemand), ni Strössburi (alémanique alsacien) et on mettra name:br = Rijsel (néerlandais) pour Lille, les deux signifiant L’Île.

Puisqu’il faut utiliser les noms germaniques en Alsace, les noms occitans en Occitanie, les noms basques en Pays basque, les noms arpitans en Arpitanie, les noms corses en Corse, les noms catalans en Catalogne, il ne reste qu’à adapter (ou non) les noms du territoire d’oïl, en gros, la moitié de la France (plus Wallonie belge et Romandie suisse).

2 Sources

Comme source, il y a la liste des noms de communes en Bretagne et les bases de données  (KerOfis et TermOfis) publiées par l’Office public de la langue bretonne et dont on peut tirer des modèles transposables. On y trouve les formes Kasteller et Kastellan, qui conviennent pour les Châtel(l)ier et Châtillon, nombreux dans le domaine francophone d’oïl. Même idée pour les Montreuil et les Montoir(e) qui deviennent des Mousterel, alors que les Moûtier(s) deviennent des Mouster(ioù).

Pour le reste, c’est-à-dire, une majorité, il faut avoir des notions de toponymie. Voir la bibliographie infra.

Une grande partie des noms de lieu du domaine francophone viennent du gaulois latinisé avec une évolution et il est possible de rapprocher une forme bretonne du gaulois, langue parente.

Pour certains noms en français courant, une simple traduction suffira et, par exemple (La) Villeneuve deviendra Ar Gernevez et Les Clos deviendra Ar C’hlozioù, tandis que les Fort(s), presque toujours perchés sur des rochers, deviennent des Roc’h.

3 Règles d’usage pour la transcription des noms de lieu

La règle la plus importante : respecter l’orthographe peurunvan : Kerisbian —> Kerisbihan, Penhoat —> Penc’hoad, Pors Coz —> Ar Porzh kozh

  • On conserve les attachements entre les composantes, quand les secondes ne sont pas des adjectifs : Pengili, Kerwern, mais Koad sec’h  (Coatsec’h)
  • Ker est réuni avec la seconde composante, si elle a été disjointe dans la forme officielle : Ker guen —> Kerwenn, Kerargaouyat > Kerargaouiad, mais, Meilh ar C’hoad (lequel peut être une traduction de Moulin du Bois
  • On rétablit l’article, si l’on perçoit qu’il a été omis, en contradiction avec l’usage parlé 1. : Coat > Ar C’hoad ha Jardin d’Ahaut > Al Liorzh Uhelañ
  • L’article ancien i est maintenu : Keridreuff —> Keridreu(z)

4 Les radicaux indo-européens et leurs évolutions

Une fraction des noms de lieu font référence à celui d’un homme, une autre fraction à un élément géographique ou agricole ou animal et une autre fraction à la religion. S’il n’est pas possible de trouver une signification ou une forme locale, on peut leur donner une forme bretonne ou les saisir tels quels. Comme l’ont expliqué de nombreux toponymistes et linguistes, les noms de lieu en France ont des racines pré-celtiques, celtiques et latines.

Bazouges > Basilica (latin), Beuvron, Brévenne, Bièvre < Bebr (gaulois, castor), Bre(u)il < Brogilo (gaulois), Chailly, Chalais, Seille, Cheillé < Kal (pré-celtique ?), Chambord, Chambourg < Cambo-ritu (gaulois, équivalent breton Kammroud(our), Namps, Nan, Nans < Nant (gaulois ou pré-celtique, vallée), Auroux, Loroux, Orouer, Ozoir < Oratorium (latin), TeilTheil < Tilium (latin, tilleul).

5 Les suffixes gaulois ou latins

En Bretagne, ainsi que dans le domaine d’oïl (la Ouitanie ?), on trouve quantités de toponymes munis d’un suffixe en -ac, -ai, -aie, -ay, -aye, -é, -ey, -i, -iac, ois, oy,  -y. Une partie d’entre eux vient des suffixes latins en -acus et -iacus. Saiacus désignait le bien de Saius, ce qu’on trouve dans Cé (Les Ponts-de), près d’Angers.

Généralement, ces toponymes avec noms de personnes peuvent être rendus avec une racine bretonne et un suffixe en –(i)eg. Romillé a été transcrit Rovelieg par l’Office public de la langue bretonne, et Marzhinieg peut transcrire Martigné, mais aussi Martignac et Martigny.

Pour les noms qui se réfèrent à une personne (on y voit souvent un ancien propriétaire ou exploitant), il y a une méthode très bretonne d’adaptation : Ker + nom. Juigné (la possession de Juvenius) peut devenir Keryaouank en respectant le sens en latin. Dans le même esprit, La Simonétière deviendra Kersimonig.

Un autre catégorie de suffixes est constituée par les suffixes augmentatifs et, en latin, c’était -etum, qui existe en breton (-ed ou -eg). Ils désignent les étendues de végétaux ou de sol: Boulaie –> Ar Vezvoed, Teillay –> An Tilhieg, Pérouse, Périer, Pierrier –> Ar Vaeneg

Orientation bibliographique

Longnon (Auguste), Les noms de lieu de la France, Paris, 1920-1929
Dauzat (Albert ), Les noms de lieux : origine et évolution, Paris, 1928-1951
Dauzat, Albert, La toponymie française, Paris, 1939
Vincent (Auguste),Toponymie de la France, Bruxelles, 1937
Rostaing (Charles), Les noms de lieux, Paris, 1945-1969 (Que-sais-je ? 176)
Dauzat (Albert), Rostaing (Charles), Dictionnaire étymologique des noms de lieux enFrance, Paris, 1963-1978
Nègre (Ernest), Toponymie générale de la France, Genève, 1990-1991, 3 vol.
Martin (Lenaig), Toponymie,  microtoponymie :  discours des gens en lien avec les noms de lieux, étude de la fluctuation de la frontière linguistique et du Pays d’A-bas…entre Basse et Haute Bretagne, DEA, Université de Rennes, 1997.
Lacroix (Jacques), les noms d’origine gauloise : La Gaule des combats, Paris, Errances, 2003
Gendron (Stéphane), L’origine des noms de lieux de France, Paris, 2003
Delamarre (Xavier), Dictionnaire de la langue gauloise, Paris, Errances, 2003
Favereau (Francis), Celticismes, Morlaix, Skol Vreizh, 2017

Plusieurs voies (« hent ») sont possibles

Quand on dit « hent » en breton, cela peut faire penser à un sentier, à un chemin d’exploitation, à une allée d’accès à une maison, à une route rurale ou à même une rue résidentielle, asphaltée ou non. En levant les yeux vers le ciel, la nuit, on aperçoit souvent le « Hent Sant-Jakez » (Chemin de Saint-Jacques) qui est aussi « An Hent Gwenn » (Le Chemin blanc ou La Voie lactée), quand c’est aussi «  Bali Sant-Pêr » ou « Ar Vali Wenn » (L’Avenue de Saint-Pierre ou l’Avenue blanche). Le mot « hent » est polysémique, exactement comme voie en français, way en anglais et weg en allemand. C’est la même chose pour chemin, path, camino, pfad, etc.
Quand on examine le cadastre, on remarque que les voies rurales portant un nom y sont catégorisées de deux manières : il y a les « voie communale n° n… dite de x » et les «  chemin rural n° dit de y », ceux-ci n’étant pas pas toujours asphaltés. Ils sont parfois abrégés en V. R. et en C. R.
On peut donc établir une règle de nommage pour les voies carrossables sur OpenStreetMap en breton : les premières peuvent être des « Route de x » et les seconds des « Chemin de y ». Ces nommages peuvent aussi venir d’une information récoltée sur le terrain, à signaler par « source:name = survey ».
Autrefois, il était fait une distinction entre les routes ordinaires, souvent non revêtues, et les routes qui menaient aux villes importantes et qu’on appelait « grand-route » (« hent bras »). Aujourd’hui les routes bretonnes sont presque toutes asphaltées et la hiérarchie des noms génériques des voies carrossables pour OpenStreetMap doit être revue de manière cohérente :
  • Les petites voies non revêtues peuvent être nommées avec les génériques « Hent » ou « Hent-karr » ou « Hent tiekaat » (voir note), ces deux derniers convenant aux anciennes voies charretières devenues « chemins d’exploitation »   highway = service/driveway, unclassified, track
  • Les voies secondaires, généralement asphaltées, qui desservent les hameaux et petits villages qui sont souvent des « chemins ruraux » (C. R.), sont aussi des « Hent »   highway = unclassified
  • Les voies communales principales pour la desserte vers les quartiers ruraux (vers plusieurs hameaux), souvent nommées « Route de x », qui peuvent être des « Hent bras x », quelquefois notés « Voie communale » et que  le cadastre classe parfois comme un « Chemin rural »   highway = unclassified, tertiary 
  • Les voies, généralement nommées « Route de x » et anciennes ou actuelles routes nationales, allant d’une ville importante à une autre, peuvent nommées « Hent-meur x » (« grand-voie » ou « grande route » ),  un nom autrefois donné aux voies antiques, lesquelles pouvaient devenir des « chemins verts », une fois délaissées   highway = secondary, primary
  • Au niveau le plus élevé, on trouve les voies rapides et les autoroutes, soit les « Hent tizh » et les « Gourhent »   highway = trunk, highway = motorway
Rien ne s’oppose, au contraire, au reclassement vers le haut d’un « Chemin de x » vers « Hent-bras x », si le mappeur estime que cela s’accorde, par exemple, avec le cas d’une route reliant une petite ville à une grande, car l’absence de règles officielles s’appliquant au breton le permet. Voir : https://www.openstreetmap.bzh/fr/2017/06/27/brezhoneg-e-maez-al-lezenn-neus-harzh-ebet-evit-brezhonekan-ar-gartenn-openstreetmap/ (version en français)
Note : Il y aurait lieu de distinguer karrhent et hent-karr, ce que ne fait pas le Geriadur An Here : le premier doit désigner les voies carrossables et le second les chemins d’exploitation pour les engins agricoles. L’Office public de la langue bretonne propose hent tiekaat, ce qui évite la collision.

Hiérarchie des nommages génériques des voies et espaces adressables

Nommages génériques des voies (Highway)

Route (à grande circulation)
Hent-meur
Boulevard
Boulouard
Route
Hent bras
Avenue
Bali
Rue
Straed
Chemin
Hent
Traverse
Hent-treuz
Allée
Alez
Impasse
Hent-dall
Venelle
Bannell
Sentier, Sente
Gwenodenn
Place
Plasenn (parfois, Leurger )
Rond-Point, Giratoire
Kroazhent-tro

Nommages génériques de voie peu fréquents(Highway)

Carn (> br. Karr-hent)
Karn
Rue Traversière (nommage complet)
Straed Treuz
Les Hauts de x
Gorre x
Côte (de)
Krec’henn, Kra(v) en Trégor
Coteau(x)
Roz(ioù)
Estrévet (Cornouaille Sud-Ouest)
Estreved
Stréat (Pays de Léon)
Stread

Nommages génériques des espaces avec adresses (Amenity, Highway ou Landuse)

Esplanade
Reper
Square
Skwar
Cité
Kêrig
Résidence
Annez
Hameau
Kêriadenn
Lotissement
Lodennadur
Clos
Kloz
Parc
Park
Jardin(s)
Liorzh(où)
Plaine
Plaenenn
Takad
Zone
Christian Rogel – OpenStrreetMap e brezhoneg
Droits de reproduction suivant la licence Creative Commons By-SA

C’est un ouvrage qui doit être lu par toute personne qui s’intéresse aux cartes tout en breton, mais, le britOSMeur n’y trouvera que des considérations sur les toponymes (et les surnoms) léonards sans diversion aucune, tant est fort l’amour que porte le maitre linguiste de Saint-Thonan à sa petite patrie nord-finistérienne.

Ayant appris le breton à l’adolescence et le gallois chez les Gallois, il a eu la chance d’être formé par les meilleurs linguistes et les meilleurs celtisants. Il n’a pas fait carrière à l’Université, mais a soutenu deux thèses de linguistique. il a collecté des contes, des légendes et bien d’autres choses en conversant en breton avec des milliers d’interlocuteurs.

Cela l’autorise, après quelques compliments, à exercer son esprit caustique à l’égard de quelques universitaires brestois, connus et reconnus (B. Tanguy et J.-M. Plonéis), car ils ont eu l’audace d’étudier des toponymes du Léon sans vérification auprès des brittophones locaux (et auprès de lui, sans doute aucun).

Selon notre linguiste (et reconstructeur de talus), l’étude des formes écrites anciennes doit être confortée par une enquête sur la prononciation des brittophones  « de tradition » locaux. Facile , si on a pu apprendre le léonard en LV1 !

Mikael Madeg a publié une partie de ses recherches de terrain portant sur des centaines de milliers de toponymes (existants ou disparus) dans une vingtaine d’ouvrages généralement rédigés en breton, mais il n’a pu anticiper que la cartographie OpenStreetMap pourrait lui être d’un grand secours, car elle s’appuie sur la photo aérienne et le cadastre embarqué. S’il savait combien la collecte et son traitement en sont facilités !

Cependant, il a un grand profit à tirer de ce livre, quand il met en garde contre les confusions et erreurs qui sont le fait, aussi bien des toponymistes du dimanche que des universitaires vissés à leur bureau.

Premier exemple : la graphie officielle, Kerguélen, assez répandue, est généralement comprise comme l’association de Kêr et de kelenn (houx). Mais, dans une petite proportion, on entend Kergwelenn chez les brittophones locaux et les formes écrites Kerguvelen font penser qu’il s’agit d’autre chose.

Deuxième exemple : gwern est souvent réduit à gwer et a fini par donner des formes  en ker. Pas de problème, si c’est la forme employée localement, mais, si le cadastre diverge de la prononciation, c’est celle-ci qui doit être retenue.

Troisième exemple : formes écrites ambivalentes ou fautives. Ty Lan est-il Ti Alan ou Ti (al) lann ? Kamm Hir ou Kan Hir ? Kerezog ou Ar Gerezog ? Le premier ne doit pas être vu comme Kêr + ezog, alors que la seconde forme montre qu’il y avait là une ceriseraie.

En plus des idées personnelles soutenues avec force et brio, l’auteur apporte beaucoup d’informations et de connaissances et il procure deux bibliographies et un lexique toponymique bien informé.

 

Christian Rogel

Mikael Madeg, Les noms de lieux (sic) et de personnes (sic) du Léon, Embann Keredôl, 2010, 234 p. Lexique p. p. 118-129. Bibliogr. ISBN978-2-917520-08-6.

Funambulisme

Une version bretonnisée de la carte OSM se heurte à des difficulté, dont la moindre n’est pas qu’on peut sembler faire du funambulisme entre deux principes d’égale valeur :

  • reproduire le dernier état des noms de lieu, mais il faut alors choisir entre recopie ou adaptation aux règles du breton
  • mettre une version qui peut remonter au substrat gaulois (ou moins haut) et donc n’être une simple hypothèse, même scientifiquement fondée

S’ajoute un troisième cas, celui de la traduction, soit du français, soit du gallo, soit de l’ancien français agricole.

Arbitraire ?

L’Office public de la langue bretonne n’a pas traduit « L’Avantage », mais, a  proposé « Beler » pour « Bel-Air ». Même recette : « Carloise » redevient « Kerloez » et « Mayenne » est transposé en « Mezven ».

« Le Routoir » pourra être traduit « An Aoglenn » et un nom typiquement gallo comme « Le Houssa » (La Houssaye) deviendra Kelenneg.

Ces transformations pourront paraître, soit arbitraires (par rapport à quoi ?), soit « impérialistes » (poser des marqueurs en breton sur le Monde, de manière exagérément symbolique).

Pas de limite légale

Ce qui l’autorise est la non-existence légale de la langue bretonne, car la clé « name:br » dans OpenStreetMap ne peut pas être renseignée seulement avec les noms de lieu ayant gardé une forme visiblement bretonne et les nommages de voie en breton opérés par quelques dizaines de communes .

Les 1 500 noms bretons des communes bretonnes ont été injectés en janvier 2012, beaucoup de noms de communautés d’agglomération et de communes ont été traduits et renseignés, dès leur création, des noms de ville et de pays hors de Bretagne, souvent anciens, apparaissent aussi sur OSM (An Havr Nevez, Nevez York, Moskof), ainsi que le nom bretonnisé de tous les États et nations sans États.

La technique en renfort

L’entreprise est immense rapportée au faible nombre des brittophones.

Cependant, il faut compter sur deux renforts de poids :

  • la technique informatique et le moissonnage des bases de données libres (surtout celles de l’Office public de la langue bretonne) qui permettra d’injecter automatiquement de nombreux noms, en particulier, ceux des rues qui sont très souvent identiques (« rue des Ajoncs »)
  • la jeune génération très connectée des brittophones qui sera réceptive à l’idée de voir des cartes en breton

La science toponymique comme garde-fou

La prise en compte des propositions de l’Office public de la langue bretonne et la mention de « source:name:br » sont les garde-fous. L’Ofis est officiellement missionné par la Région Bretagne pour être une source de toponymes normalisés.

Les nombreux toponymistes qui ont travaillé localement ou régionalement sont une source à exploiter avec la prudence nécessaire.

Il n’est pas envisageable d’obtenir une carte où 100% des noms sont bretonnisés, mais 80% en Bretagne est atteignable et, faute de bretonnisation possible,  un nom d’aspect breton n’est pas requis dans tous les « name:br ».

 

Christian Rogel